Du jamais vu : 61 portraits d'un ami qui vient d'avoir 96 ans !
61 portraits d'une seule et même personne ? Quel défi ! Au temps des téléphones portables, de la photographie réflexe, de l'image immédiate, des selfies obligés, quand l'image de soi est devenue un tel souci !

Cette exposition est une surprise. Nous nous connaissons en effet, René et moi, depuis bien des années, j'ai fait de lui de nombreux portraits, mais je n'avais jamais imaginé que cela pourrait un jour aboutir à une exposition ! C'était une affaire d'amitié et l'occasion d'exercices pour le dessinateur que je m'efforce toujours de devenir...

René Pichon

J’ai fait la connaissance de René Pichon dans les années 2000, lorsqu’avec Camille Vivante et la Compagnie des autres, nous avons créé à Carpentras les Bonheurs de lecture. Sa riche voix de chanteur, son humour, sa haute stature et son caractère enjoué ont beaucoup apporté à cette aventure dont bien des Carpentrassiens gardent grand souvenir.

 Il était alors un peu notre père à tous, ou notre grand frère. Fils de boulanger né en 1928, très tôt « sorti de la boulange », comme il disait, puis tour à tour représentant, étalagiste, puis jardinier-paysagiste, il a dès sa jeunesse été très actif dans des associations culturelles, dans l’Yonne d'abord puis autour de Carpentras. Doté d’une vraie formation de chanteur, il a fait de l’opérette, de la chanson, du chant choral aussi… De là au théâtre, il n’y avait qu'un pas ! … et puis, sur le tard, en 2005, il est même venu peindre et dessiner avec moi, chez moi, puis chez José aussi…

Ces dernières années, c'est devenu une sorte de rite : nous nous retrouvons chaque semaine, le mardi matin. Avec Annie, sa femme, ils m’offrent le café et nous causons… Chaque semaine aussi, je fais de lui, un nouveau portrait ; ça finit par en faire beaucoup ! Et ce n’est pas fini...

Des portraits…

Pendant plusieurs années, j’ai donc fait, toutes les semaines - ou presque -, un nouveau portrait de René. - Comment, dira-t-on, le même modèle, le même sujet, la même personne, le même visage !?  - Peut-être, mais regardez mieux ! Non ce n’est jamais le même : il est chaque fois différent ! Il n’arrête pas de changer …et moi aussi. Et j’utilise chaque fois des outils différents ! Crayons, pastels, feutres, stylos bille, peinture… et des formats ou supports différents : papiers de grain, de teinte et de format différents, cartons... C’est chaque fois une aventure nouvelle où tout se décide dans l’instant.

Une exposition originale

Dans ce lieu si modeste et tellement connu et aimé, je ne pouvais me contenter de faire comme d'habitude. J'ai eu envie de  renouveler l'accrochage, de rompre avec la sobriété de l'ordre et des beaux alignements, et de passer à une sorte de profusion baroque : un trop grand nombre de tableaux (61) ! - accrochés dans une sorte de désordre : juxtaposition des époques (sur presque 20 ans !), des formats, des couleurs et des styles. Tout cela pour exciter la curiosité joueuse des visiteurs.

De surcroît, - prise de risque ! - à l'exception des grands formats, toutes les oeuvres sont présentées à vif, sans vitre de protection, afin que chacun puisse être en contact direct avec la chair, la peau du dessin...

      Des "Exercices de dessin"

Quand Raymond Queneau publia ses Exercices de style, - où il racontait plus de 100 fois la même anecdote dans autant de styles différents - , on découvrit que le style, à savoir l'écriture, pouvait être à coup sûr un sujet bien plus intéressant que l'histoire racontée : l'histoire elle-même était négligeable.

Dans mon travail, le sujet n'a rien de négligeable puisqu'il s'agit du visage d'un ami, d'un être humain, lieu de l'inépuisable et inestimable mystère de la vie... Mystère de tous nos visages ! Il était donc normal, évident de tenter de l'exprimer avec toutes les  ressources du dessin, elles-même inépuisables !